La mort vient de jeter sur Cristobal Balenciaga sor grand manteau de ténèbres mais illumine, au même instant, dans la mémoire le ses amis le souvenir d'un homme intègre, incorruptible, vrai, sincère, "tel qu'en lui même enfin l'éternité le change".
Mois laissons parler ses proches. Et d'abord HUBERT DE GIVENCHY. "Il avait toujours un merveilleux sourire. Il aimait rire. C'était un être d'une grande simplicité ; ses peines étaient fortes, ses joies étalent grandes. Il était profond, sans détours, généreux, bon, lucide. C'était l'homme de la ligne droite. Tout était net dans sa vie comme dans ses tailleurs. Si on lui demandait un conseil, il répondait : "Soyez naturel. Que les choses viennent vraiment de vous." A 17 ans, avec trois dessins sous le bras, je suis allé me présenter chez lui. Je n'ai pas été reçu. Il y avait barrage. Je l'ai rencontré bien des années après, à New York, chez le président de Vogue, M. Patcévitch.La vie a de ces hasards... Ce que Balenciaga a créé, ce n'est pas seulement un style mais une technique. Il a été l'architecte de la Haute Couture. Vous pouvez avoir de la fantaisie, des idées, mais ce qui importe, c'est la construction d'une robe. J'ai travaillé avec Fath, Piguet, Lelong, Schiaparelli, mais quand je l'ai rencontré, je me s uis aperçu que je ne savais rien. Il travaillait avec des, équerres sur ses pauons, avec des points de repère aussi précis que sur une épure. Il disait : "Quand la charpente est bonne, on peut construire ce qu'on veut." Avec 500 ouvrières à Paris, il a influencé la couture mondiale."
RAMON ESPARZA, son collaborateur de 25 ons, explique l'homme invisible qu'était Balenciaga. "En Espagne, c'était un mythe. Ses clientes ne le voyait plus depuis 1931, année de la chute de la monarchie. Elles avaient boycotté la république, ceux qui continuaient à travailler sous le nouveau régime, et Balencinga lui-même qui n'a jamais fait de politique. Déçu, blessé, voyant à quoi tenait l'amitie il s'était retiré du monde. Quand, la guerre venue, ayant passé la frontière avec juste de l'argent de poche, il s'est installe à Paris, il se souvint de 1931 et décida de se tenir à l'écart. Sa première collection d'aoùt 1937 fut un triomphe qui remboursa ceux qui lui avaient fait crédit. Il connaisait bien Paris puisqu'il était acheteur depuis 1914, spécialement chez Chanel. A l'origine, son problème avait été d'adapter la mode parisienne à la femme espagnole. C'est là qu'il lit son apprentissage de technicien novateur. Les Parisiennes, avec leur chic, "emportaient" la robe. Mais l'Espagnole, plus forte, y réussissait moins. Il a travaillé jour et nuit comme un savant fait des recherches de laboratoire. Il a appris l'architecture et comment on doit pouvoir bouger dans une robe. Il a résolu le problème du montage es manches. La technique de la haute couture actuelle, e'est lui qui l'a créée. En Espagne, couturier unique, il habillait les grosses, les maigres, les petites, les grandes, les mères, les filles. A Paris, chaque type de femme ava it son couturier. Il en savait donc plus long sur la femme que tous les autres couturiers de l'époque. Les lois qu'il a découvertes sont exactes. Il aurait été plus jeune, disait-il, il aurait adopté cette technique à un prêt-a-porter industriel."
ANDRÉ COURRÈGES a vu en lui le bourreau de travail, capable de tenir de 9 h à 22 h sans lever la tête, dans le silence. Vitalité prodigieuse, puissance d'attention hors du commun. "Cela allait vite et bien. Un bon chef d'atelier peut faire 30 essayages par jour. Il en faisait 120. Une de ses qualités, la force de charatère. Ayant mis à la porte l'un des plus gros acheteurs américains, celui-ci lui avait envoyé un chèque en blanc en garantie de futurs achats. Nous, ses assistants, nous comptions le nombre de zéros à mettre pour le forcer à acheter pendant dix ans. Balenciaga a pris le chèque et l'a déchiré... Chanel et Balenciaga, ayant tous deux la puissance de la volonté let la personnalité, sont les seuls à avoir créé un style.
EMANUEL UNGARO déclare : "Je lui dois tout. Il é1ait la noblesse, le dignité, le silence. li créait autour de lui une telle intensité. un tel respect que le silence s'imposait. Son introspection était permanente. Autour de lui se groupait une famille spirituelle, se créait une filiation naturelle qui n'a jamais existé pour aucun autre couturier. Il a tracé dons ce métier une voie royale. Il est le père de la couture moderne. Sa personnalité dominait. Il faisait naître des moments exceptionnels auprès desquels tous les autres paraissaient creux. La magie de sa présence quand on travaillait près de lui ... ! Le vide quand il a fermé sa maison ... ! Il maintenait à un très haut niveau, le sentiment qu'on peut avoir de la mode. Il ne la croyait pas futile. Pour lui c'étoit un acte profond, senti, pensé."
"A Gueturia où il est né, où il esl enterré dons le cimetière dominant lo mer, à l'église qui est extraordinairement belle, tous les paysans, tous les pêcheurs étaient réunis pour chonter ln messe en basque. C'est ce qu'il souhaitait sans doute. C'était splendide. C'était solennel. Pas déprimnant. D'une beauté foudroyante. C'était fort. Comme lui. Ii a réussi sa vie. Il a réussi sa mort. Ce qui est plus difficile."
